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Botox et tétanos, un étonnant cocktail pour… soigner la douleur

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Voici deux bactéries auxquelles on n'a pas envie de se confronter. La première, Clostridium botulinum, est responsable du botulisme. La toxine botulique qu'elle produit est le plus puissant des poisons, qui bloque la communication entre les nerfs et les muscles, provoquant ainsi des paralysies puis le décès. Avec une formulation très diluée (dont la plus connue est le fameux Botox), cette toxine, injectée dans certains muscles du visage, atténue les rides. La seconde bactérie, Clostridium tetani, est, comme on l'a deviné, celle qui donne le tétanos. Contrairement à la précédente, la neurotoxine que le bacille sécrète est capable de remonter au cerveau et, prenant pour cibles les neurones, empêche la libération de certains neurotransmetteurs avec pour conséquences des spasmes musculaires violents pouvant entraîner la mort. Deux tueuses donc.

C'est pourtant à ce dangereux duo qu'une équipe internationale (Royaume-Uni, Italie, Australie) a songé pour élaborer... un traitement, une molécule contre l'épilepsie et les douleurs chroniques. L'étude sur ce cocktail étonnant est parue dans le numéro du 16 octobre de la revue Bioconjugate ChemistryComme le résume un de ses auteurs, Bazbek Davletov, qui tient la chaire de biomédecine à l'université de Sheffield, la toxine botulique pourrait, par sa capacité à bloquer certains neurones bien sélectionnés, et ce pour des périodes longues, faire un analgésique dont l'action durerait plusieurs mois. Mais jusqu'ici, ajoute-t-il, "sa puissante et toxique action paralysante a masqué son potentiel comme traitement des douleurs durables".

Il faut donc réussir une double mission. Primo, empêcher la toxine botulique d'aller à l'interface des nerfs et des muscles où elle agit d'ordinaire. Pour cela, l'équipe de Bazbek Davletov a trouvé la solution par hasard il y a deux ans, en constatant que cette toxine, rallongée par collage d'une autre molécule, avait tout à coup beaucoup de mal à se faufiler dans les jonctions neuro-musculaires. Seconde partie de la mission, apprendre à la toxine botulique à "s'accrocher" aux cellules nerveuses du cerveau impliquées dans la douleur. Or, les neurones cérébraux sont précisément les cibles privilégiées de la toxine fabriquée par la bactérie responsable du tétanos. On ferait donc d'une pierre deux coups en accolant à la toxine botulique la partie de sa collègue tétanique qui sait cibler ces neurones. Ce mariage sulfureux, ce bricolage de molécules, les auteurs de l'étude l'ont réalisé grâce à une technique de leur invention, que Bazbek Davletov a nommée "l'agrafage de protéines".

Il ne restait plus qu'à vérifier dans la pratique si la chimère ainsi obtenue tenait ses promesses. Après s'être assurés que la "colle" avait bien pris, les chercheurs ont réalisé de nombreuses expériences, in vitro, sur des neurones de rongeurs, mais aussi in vivo. Ils ont par exemple injecté à des souris une dose massive de leur toxine botulique reconfigurée, une dose 100 000 fois plus élevée que celle qui, avec la toxine normale, tuerait 50 % des animaux. Aucune souris n'a montré de signe de paralysie musculaire et toutes ont survécu, ce qui montrait que la première partie de la mission était bien remplie. Les auteurs de l'étude ont ensuite testé leur molécule dans le cortex visuel de rats. Ils ont constaté que la région perdait une bonne partie de sa réactivité face aux stimuli visuels auxquels les animaux étaient soumis, preuve que ses neurones étaient bien mis en sommeil. Enfin, une dernière expérience a consisté à mesurer l'action de la chimère sur la douleur. Les chercheurs ont provoqué une inflammation artificielle chez des rats, au niveau de leur patte arrière gauche, puis ils ont injecté leur molécule à ces animaux. Pendant les onze jours de l'expérience, les biologistes ont noté une réduction significative de l'hypersensibilité qu'ils avaient induite.

Pour eux, cette chimère est d'abord un outil qui leur permettra en éteignant telle ou telle population de cellules nerveuses, de comprendre les mécanismes des différents types de douleur et de déterminer leur longévité. Mais le potentiel thérapeutique de la molécule les intéresse aussi. Comme l'explique Bazbek Davletov, « les analgésiques actuels ne soulagent des douleurs prolongées que temporairement et ont souvent des effets indésirables. Une seule injection de la nouvelle molécule à l'endroit de la douleur pourrait soulager les humains de la douleur pendant de nombreux mois et c'est ce qu'il faut maintenant tester. »

L'article évoque également le cas des épilepsies « réfractaires », qui résistent à tout traitement médicamenteux. Pour les personnes qui en souffrent, l'ultime recours est bien souvent chirurgical. L'étude souligne qu'une injection ciblée de la chimère botox-tétanos pourrait être efficace pendant plusieurs mois pour désactiver les crises et qu'elle permettrait si ce n'est d'éviter l'opération, du moins d'en évaluer les chances de succès. Il est même possible, imaginent les chercheurs, que lors du répit provoqué par la mise en sommeil de la zone responsable de la maladie, cette région défectueuse soit définitivement mise hors circuit, le cerveau se « recâblant » à côté d'elle.

Pierre Barthélémy (suivez-moi ici sur Twitter ou bien là sur Facebook)

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